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  • Photo du rédacteurLéa Masson

KANAL - Centre Pompidou

Un musée en construction qui se veut déconstruit ?

« Ce n’est pas un musée que nous construisons, c’est bien plus que ça. Notre ambition est plus grande. Nous voulons développer un espace au service des Bruxellois, pour vivre, travailler, se rencontrer, se détendre. » Yves Goldstein, chef de mission de KANAL


Un lieu emblématique bruxellois


L’ancien garage Citroën est un édifice moderniste des années 30 et le plus grand garage d’Europe de l’époque. C’est sa position stratégique au sein du berceau industriel bruxellois qui avait convaincu André Citroën d’installer les 48.000 m2 d’ateliers, bureaux et showroom à cet endroit. En 2015, la Société d’Aménagement Urbain (SAU) acquiert le bâtiment afin d’y développer un musée d’art moderne et contemporain d’ampleur internationale. La fondation KANAL entend être un “futur phare culturel”, utilisant la culture et l'art comme des leviers de vivre-ensemble. Ce futur musée s’inscrit dans un quartier qui souffre de son image encore peu valorisée, que la ville de Bruxelles entend revitaliser par un grand plan de réaménagement, qui suscirêt et débats autour du risque d’une potentielle gentrification.

Visite documentée du Kanal en chantier


La problématique de ce musée du futur

Comment est-ce que l'équipe de médiation du KANAL prépare la réouverture du musée en lien avec le quartier ?


Grâce aux grands travaux qui font trembler les dalles de l’ancienne usine Citroën, le musée KANAL détient aujourd’hui entre ses mains, la possibilité d’offrir une nouvelle définition du musée d’art contemporain traditionnel et élitiste que nous connaissons toutes et tous. Un projet plus humble, plus inclusif, plus à l’écoute. Nouvelle équipe, nouveau musée ? Nous le savons, le changement de direction d’un établissement culturel peut parfois renverser certaines visions et valeurs en matière de direction artistique et culturelle, mais aussi en termes de vision politique. Même si le débat autour de la politisation des arts et notamment l’art contemporain fait des remous, un musée comme le KANAL avec son contexte urbanistique et son historique riche, peut nous faire rêver à un musée davantage pensé avec son public. C’est d’ailleurs le chemin que Anna Loporcaro, directrice artistique du musée, et sa petite équipe, Samuel et Nino, paraissent bien décidé·es à vouloir emprunter. Yves Goldstein, chef de mission du musée, semble quant à lui conscient de la portée politique que revêt l’ouverture du “nouveau” KANAL :


« KANAL ne sera jamais un musée ghetto ou de niche, pour blancs, riches ou précaires : mais un musée pour tous et toutes. La richesse de Bruxelles, sa fierté et celle de KANAL, c’est la mixité. Ce modèle est en péril, eu égard aux différents processus de gentrification. KANAL c'est véritablement cette idée de retrouver comme une sorte de laboratoire d’un lieu permanent de la mixité. Ce n’est pas l’art pour l’art qui nous intéresse. C'est l’art et la culture en tant que leviers d'intérêt sociétal. C'est cela qui va continuer à nous guider dans les deux ou trois prochaines années jusqu'à notre ouverture. »


De gauche à droite : Yves Goldstein en animation / Atelier Kunstendag Voor Kinderen avec l'artiste Maria Kley / Audio guide en réalité augmentée proposé par Kanal pour visiter le musée "autrement" et de manière ludique

Les volontés se tournent alors clairement vers le public, mais aussi et surtout sur le quartier dans lequel le KANAL est installé, et avec qui il veut tisser une relation plus intime, voire familiale.


Néanmoins, le musée n’ouvrira pas ses portes avant 2024. En attendant, comment les portes du public peuvent-elles s’ouvrir à KANAL ? Il est plutôt rare qu’une institution aussi grande puisse bénéficier de trois années pour penser les aménagements et la ligne directrice de ce qu'il y sera proposé. Cette opportunité, KANAL la mesure, et amorce d’ores-et-déjà des actions de médiation culturelle afin de construire les nouvelles fondations du musée.


 

Politique de médiation culturelle


Entre la volonté politique et la réalité de terrain Au sein du musée se développent deux “bulles de projets”. D’une part les projets d’exposition que l’on pourrait considérer comme “classique”, à savoir des expositions éphémères que KANAL pourra organiser grâce aux œuvres empruntées au Centre Pompidou dans le cadre de leur partenariat, ou encore les œuvres que KANAL va lui-même acquérir d’année en année. D’une autre part, Anna, Samuel et Nino se sont attelé·es à développer le projet KANAL COLLECTIF. Cette ambition répond plus spécifiquement à la volonté de créer un musée plus inclusif et à l’écoute de son quartier dont parle tant l'institution.


Au sein de ce projet se développent plusieurs initiatives, allant du workshop à la visite guidée, en passant par des expositions. Nous avons pu observer la stratégie muséale en sous-marin comme nous l’a définit Anna. En effet, aucune de ses activités ne fait l’objet d’une communication de la part du Kanal. Aucune pub, aucune mise en avant qui participerait à dorer leur image. Si la stratégie du sous-marin, sonne presque un peu militaire, nous la percevons davantage comme un semis de graines, plantées ça et là aux alentours du KANAL, et qui choisiront de fleurir, ou non, si l’énergie s’y plaît bien.

Dans le cadre de KANAL COLLECTIF, nous avons assisté à quelques facettes des activités mises en place par l’équipe, notamment par le biais du projet Association Inscrire. Ce projet est né d’une demande de l'Athénée Royale Toots Thielemans, localisée à quelques centaines de mètres du musée. Les professeur·es souhaitaient montrer à leurs élèves en T3 vente d’autres choses que les murs de leurs écoles, qu’iels ne semblent pas avoir vraiment choisi. En effet, chaque étudiant·e a le statut de primo-arrivant·e, et semble être inscrit·e dans cette formation un peu par défaut. L’équipe de KANAL a alors cherché le partenariat le plus pertinent à tisser en contactant l’artiste plasticienne Françoise Schein, et le Musée de la Migration, lui aussi situé proche du musée, pour construire un projet commun. Des élèves au parcours identitaire mouvementé, une artiste ayant déjà travaillé sur des projets participatifs et collectifs, et un musée (ancien foyer fédérateur à Molenbeek) qui met en valeur les identités de toutes et tous.


Analyse de l'observation participante au Musée de la Migration



Dans le cadre de Association Inscrire, le processus de travail avec les élèves de l'Athénée va se dérouler sur toute l'année, avec l'idée de ré-itérer l'expérience avec les promotions suivantes. L'envie est de créer des liens avec l'école, mais surtout une continuité dans les relations tissées entre les personnes du quartier, le musée de la Migration, et KANAL. Une première visite a été organisée par le KANAL, pour montrer aux élèves les locaux du musée en travaux. Un deuxième moment de rencontre, auquel nous avons pu assister, a eu lieu au Musée de la Migration.


Dans l’espace d'exposition, une longue frise chronologique se déroule sur un mur, détaillant et découpant l'histoire de l'immigration de la capitale belge. Disposées en cercle, environs 80 vitrines dévoilent les objets personnels et intimes de personnes immigrées.

La consigne donnée aux élèves étaient de repérer des éléments de l’exposition qui faisaient échos à leur histoire et de les dessiner, afin de créer par la suite une fresque collective en céramique qui sera exposée dans l’espace public.


Au fil des années, ce workshop a pour ambition de créer un parcours de récits ainsi qu'un lien entre l’école et le musée, pour visibiliser l’existence de ces enfants et le partenariat entre acteurs culturels et écoles. Cet exemple montre la volonté de KANAL de porter des projets sur le long terme, pas seulement éphémères, pour réellement tisser une relation avec ses partenaires.


Questionnement sur la place de Kanal dans cette médiation ?

Pour l'instant, nos observations ont révelé que l'équipe de Kanal met à profit son rayonnement, son influence, et son carnet d’adresses d’artistes, sans pour autant endosser le rôle de médiateur culturel. En effet, Kanal semble se positionner davantage comme facilitateur que médiateur. Grâce à son réseau et sa volonté politique d'ouvrir le musée d'art contemporain à toutes et tous, il réalise d'abord un travail de déconstruction de l'élitisme de l'art et tente de casser les barrières qui se dressent entre le public non-initié et le musée.


La construction du projet Association Inscrire relève d'un choix politique d'écoute et d'empathie du KANAL envers son public. Le choix de mettre en relation l'Athénée Royal Toots Thilemans, le Musée de la Migration et l'artiste plasticienne Françoise Schein s'aligne avec la volonté de faire basculer le musée vers un lieu plus inclusif et collectif. Kanal ne semble pas vouloir vendre son art contemporain mais bien vouloir tisser des relations entre les habitant·es. Il y a même une volonté nette à vouloir aborder des sujets parfois tabous à Bruxelles : la mixité culturelle, et plus localement, la mauvaise réputation qui se construit depuis des années autour du quartier de Molenbeek. Ce projet reste néanmoins un petit partenariat, non mis en avant par le musée. Sa portée peut alors paraître faible, presque à moitié assumée, mais les travaux ne font que commencer, laissant quelques années à Kanal pour consolider ces liens.


Certain·es habitant·es du quartier voient d’un bon œil la présence de KANAL à Molenbeek. Même s’il est évident que la présence d’un musée d’art contemporain n’est ni l’urgence ni la priorité pour elleux, l’installation peut aussi faire plaisir : que l’on construise des musées dans des quartiers moins touristiques et attractifs que peuvent l’être les quartiers du centre ou les quartiers riches. Quelque part, cela veut dire qu’on questionne la légitimité urbanistique de construire un musée dans un quartier à l’histoire industrielle et ouvrière riche. Avec la promesse d’un nouvel aménagement du rez-de-chaussée de l’ancienne usine, en un lieu public, les rêves des habitant·es pourraient voir le jour : cuisine partagée, lieux de détente et de retrouvailles, possibilités de locaux pour travailler entre 2 heures de cours… Cependant, le phénomène de gentrification n’est jamais très loin, et doit faire sérieusement réfléchir à la position de KANAL dans les années futures. Si le musée ne se positionne pas radicalement en faveur des molenbeekois·es, il pourra, sans l’ombre d’un doute, devenir un des leviers de gentrification du quartier, et servir des politiques élitistes et universalistes.


 

Le paradoxe Kanal


Pour mener à bien ses actions, la cellule de médiation de Kanal a fait le choix de s’appuyer sur des méthodes d’évaluation plus sensibles et moins protocolaires que celles habituellement utilisées dans les structures culturelles. L’équipe a formulé ce besoin car elle fait face à un défi, celui d’une double fonctionnalité de l’organisation Kanal. La visite ou la consultation des plans du site suffisent à se rendre compte de la place minoritaire qu’a le musée d’art contemporain au sein de l’espace kanal.

Le travail de médiation est donc destiné à la fois à des lieux de vie et d'évènements en plus d’être voué à un musée d’art contemporain. Ce qui aboutit sur deux versants pour la médiation culturelle, deux champs d’action en tant que tels. Il s’agit d’une part de développer l’inclusivité dans le musée d’art contemporain. Le travail porte alors sur les supports ainsi que le questionnement de la place du médiateur·rice en salle, dans son rapport aux visiteurs et leur accompagnement. D’une autre part, la médiation a pour mission de concrétiser la promesse originelle du Kanal. A savoir, la création d’une plateforme libre pour une mosaïque d’acteurs spécifiquement locaux et ancrés dans le territoire.


L’ambition est louable, cependant, l’organisation autour de ce slogan reste floue. Et nous peinons à distinguer la structure de ce travail. Combiner les deux versants nécessite une véritable coordination et un large spectre de compétences.

Ce qui nous amène à ce qu’on peut appeler le “Paradoxe Kanal” qui oppose le besoin d’un travail qualitatif auprès des usagers pour concrétiser ses ambitions à un grand manque d’effectif pour mener ledit projet structurant de cette institution naissante.


Certes, nous pouvons faire des suggestions concernant les deux versants de la médiation mentionnés plus haut. Il s’agirait, pour la médiation au sein du musée et au-delà du travail d’accessibilité à faire avec les curateur·rices , de mettre en place des dispositifs adaptés à certains publics. De nombreux exemples existent déjà, tels que des créneaux horaires calmes ou des maquettes tactiles… Quant à la fédération d’une mosaïque d’acteurs locaux et divers, il s’agirait de démontrer la valeur de ces partenariats pour la structure en général.

Mais la question cruciale semble être celle des forces vives. Tout le travail à mener nécessite une équipe. Et une personne ne peut avoir tout le bagage de compétences nécessaire à la réalisation du grand nombre de chantiers de la médiation. La tâche est rendue d’autant plus difficile lorsque l’on y ajoute l’instabilité que pose la place de stagiaire dans une équipe si réduite. Il serait donc question d’identifier ce qui fait l'impact et l'importance de la stratégie et de la vision présentée par Anna.


Nous sommes ici les témoins d'un musée qui se cherche également structurellement. Que peut donc faire la médiation de manière isolée ? Lorsque la question de la réouverture est posée, l’objectif est évidemment de voir venir le public le plus diversifié possible. Mais au-delà de ça, lorsque la discussion se développe, la motivation première émerge: celle de créer des ponts et de faire du lien.


L’histoire du Kanal n’est pas encore le conte de fée qui a été vendu (qui sait si elle le sera un jour). Mais notre étude nous montre que durant sa fermeture, le Kanal est déjà à l'œuvre, avec des ressources humaines extrêmement limitées, pour créer des échanges et dialoguer.


«C'est ça la médiation culturelle, c'est la rencontre, c'est les échanges, c'est le plus important et c'est pour ça que je veux faire ce métier.» Samuel N'SENGI, médiateur chez Kanal


Article écrit par Cassandre Haulot-Logre, Dwayne Mbenun, Emma Ladeuze, Eva Le Meter, Jeanne Lacroix-Boettcher, Margaux Demolin, Roxane Degrez & Yanis Karkache.


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