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  • Photo du rédacteurLéa Masson

Park Poétik, un laboratoire pour la médiation culturelle

1. Une ville de diversité culturelle

Plus de la moitié des habitant.e.s de Bruxelles sont d'origine étrangère, ce qui fait de notre capitale une ville cosmopolite sujette à certains contrastes de langue, de milieu socio-économique et d’habitudes culturelles... Le pouvoir décisionnel culturel est également éclaté en plus de 40 responsables politiques différents. Les aides financières peuvent venir des trois régions, des communes ou de l’Europe. Bruxelles est donc un patchwork institutionnel et démographique dans lequel les institutions culturelles tentent de trouver leur place et leur méthodologie de médiation.

Park Poétik fait partie de ces projets culturels qui réfléchissent à la médiation dans le contexte spécifique de Bruxelles. C’est un projet qui se déploie dans des quartiers où l’on trouve une diversité de personnes vivant sur un même territoire.


Park poetik, c’est quoi?

Park Poétik est un festival d’arts pluridisciplinaires organisé à Forest et Saint-Gilles au mois de juillet et août, six jours sur sept avec plus de 150 interventions.

Park Poétik est la suite du festival SuperVliegSuperMouche (SVSM), qui a eu lieu de 2013 à 2019. Cette ancienne forme était un festival de deux jours familial et bilingue au parc Forest. Le festival était porté par plusieurs acteur·ices : une équipe médiatrice, des partenaires culturels, des artistes, des bénévoles et des habitant·e·s. La transition entre SVSM et Park Poétik a été accélérée par l'arrivée du COVID ; suite aux restrictions sanitaires et à l’arrêt des activités culturelles, l’équipe a pris le temps de repenser les objectifs et la forme de son festival pour en faire un événement plus adapté et plus résilient.

Park Poétik ne rentre pas dans les formes habituelles de structures culturelles. N’étant ni une organisation, ni un mouvement ou un collectif, l’équipe essaye de mettre en place un nouveau modèle. L’activité de Park Poétik dépend du centre d’art contemporain le WIELS, qui lui permet d’être soutenue financièrement et administrativement sans devoir créer pour son projet une ASBL distincte. Au niveau financier, Park Poétik vit grâce à plusieurs sources de revenus : une subvention pluriannuelle auprès de la commission de la communauté flamande ainsi que des subventions ponctuelles auprès de pouvoirs subsidiants. Cela lui donne une structure financièrement fragile en fonction des montants fluctuants attribués par ces aides.

En tant qu’étudiant·e·s en design d’innovation social, l’approche de Park Poétik nous a semblé intéressante au niveau de l’expérimentation et de la remise en cause de la médiation. Comment le covid a été pour Park Poétik un levier de transformation et d’innovation de la médiation culturelle?


2- Innover et expérimenter la médiation

Avant la crise du Covid, SVSM avait la forme d’un festival familial. On retrouve pourtant dès cette formule une posture très engagée portée par celleux qui construisent l'événement. À travers les thèmes choisis pour ses éditions, SVSM appliquait des valeurs sociales et une charte de durabilité qui guidaient chacun de ses choix. Pour l’édition de 2019 par exemple, le festival (mais aussi les avant-projets et les temps de médiation en amont) étaient l’occasion de parler de manière créative de pollution plastique, en détournant des objets, en organisant un système de collecte et de réductions durant le festival.... En plus de la volonté de mettre les gens en contact avec des projets créatifs, il y a un objectif de sensibilisation et une réflexion autour de la manière d’organiser et de vivre un événement culturel dans le contexte de l’anthropocène.

SVSM était mis en place avec un comité d'expert·e·s (artistes, créateur·ices, performeur·euses, médiateur·ices...) et un coordinateur afin de programmer les activités. L’idée était de travailler avec les personnes qui connaissent leur sujet et de ne pas rester enfermée dans une petite équipe avec un point de vue plus restreint. Ce festival c’est l’envie de “samen stad maken”, à travers un travail participatif avec une coopération de partenaires divers travaillant en réseau. Malgré toutes ses idées fortes, l'événement était confronté à des problèmes récurrents aux secteurs culturels : tout était planifié dans un programme serré de deux jours, ce qui rendait l'événement peu flexible et apportait une pression logistique de plus en plus lourde.

En 2020, le Covid arrive avec des mesures sanitaires pour le secteur culturel. Devant cette situation, l’équipe coordinatrice doit se réinventer : un festival sur deux jours regroupe trop de personnes sur un même lieu. L’équipe prend une décision qu’elle avait déjà envisagée : étaler le projet sur deux mois, avec des petits projets à travers Forest et Saint-Gilles.

L’équipe s’est positionnée rapidement devant la gestion politique du Covid qui allait rendre la culture encore plus exclusive. Elle a vu dans cette situation un potentiel pour emmener plus loin sa médiation et sa manière de travailler. Park Poétik a revu son processus créatif et a mis en place des outils de médiation pour la participation et la co-création.


Dreamcatching

Tous les participant·e·s prennent part à la programmation et suivent une histoire commune pour faciliter la gestion de l’événement. À travers des réunions de “dreamcatching” auprès de ses collaborateur·ices, Park Poétik récolte des rêves et des envies. Pendant cette phase, tout le monde partage ses idées puis plusieurs thématiques sont définies en commun : les concepts. Ces axes thématiques vont servir à avoir une histoire commune que chacun·e peut s'approprier en gardant une certaine cohérence. Chaque groupe développe son concept ; ce qu’iels aimeraient organiser et les artistes avec lesquel·les iels veulent travailler.


Sur le terrain

L’équipe de Park Poétik joue un rôle de facilitateur·ice, s'occupe de tâches logistiques (matériels, installation, gestion des bénévoles et du planning...) et permet à d’autres acteur·ices de développer leurs projets. Le festival se co-construit donc grâce aux énergies et implications de chacun·e. On n’est plus sur un modèle de hiérarchie pyramidale, on donne de la place à chaque personne qui a envie de s’investir dans un concept. Ainsi, le festival ne transmet pas la vision d’un seul organisme, il n’y a pas de drapeau qui porte l’identité et les valeurs d’un seul partenaire. C’est un festival collectif, de sa construction à sa mise en place.


Évaluation

Park Poétik effectue une évaluation à la fin de l’été. En reprenant chaque concept avec la grille d’évaluation qui reprend différents critères : pertinence, impact, durabilité, efficacité et efficience. Cela permet de voir si le concept a répondu aux attentes. L’évaluation se fait aussi sur les ressentis des programmateur·ices. Il est important que le concept soit pertinent par rapport à leur manifeste. Par exemple, l’activité Promenade Poétik suit moins les valeurs de Park Poétik : il fallait s’inscrire pour participer, beaucoup de promotion devait être faite autour de l'événement.

Les phases d’évaluation qu’iels mettent en place se confrontent à des difficultés de participation, l’enjeu est d’arriver à se mettre à la hauteur des personnes interviewées. Avec les bénévoles, il est parfois difficile d’arriver à de vrais retours critiques car certaines personnes ne sont pas habituées à avoir ce droit d’expression sur le cadre de travail dans lequel elles ont œuvrés. Il y a beaucoup de possibilités d’animation et de médiation à expérimenter dans cette phase de récolte de paroles pour que Park Poétik puisse s’adapter à son public.


Le futur de Park Poétik

Park Poetik ne cesse de travailler sur son modèle de fonctionnement afin qu’il soit plus clair et accessible à tous·tes. Pour le futur, iels veulent inclure plus d’habitant·e·s dans le dreamcatching et toucher un maximum de public en continuant de créer du lien entre les participant.e·s. Afin de remettre en question leur programme chaque année, Park Poetik s'appuie sur le processus de co-création, et se réfère aux retours des anciens et nouveaux projets pour développer un programme plus participatif.


3- Nos expériences sur le terrain

Rencontre avec l’équipe

Nous sommes allés à Maxima pour faire connaissance avec deux membres de l’équipe : Benoît, coordinateur du projet depuis 2013 et Lisa, chargée de la coordination et de la communication. Lors des évènements auxquels nous avons participé, la soirée bénévole et l’assemblée générale, nous avons vu leurs outils de médiations : brainstorming, prises de paroles, post-it, jeux de carte, dessins...


Afin d'aller à la rencontre du public et d’analyser leur ressenti, nous nous sommes rendus sur la place Bethléem avec un vélo cargo. Nous nous sommes rendu compte que le nom de Park Poétik n'était pas connu par les habitant.es. Les panneaux récapitulatifs de leurs activités que nous avions installés sur la place, ont permis aux passant·e·s de reconnaître certaines activités de l’été passé. Certain·e·s avaient déjà croisé par exemple le cuistax à gogo dans les rues de Saint-Gilles, d'autres se souvenaient du grand festival de SuperVliegSuperMouche.


4- Analyse du fonctionnement de Park Poétik

Après être allé.e.s sur le terrain pour expérimenter les méthodes de Park Poétik nous avons mieux compris la difficulté et les forces de ces méthodes. Leur nouveau modèle permet d’aller vers le public, au lieu d’attendre que le public vienne à eux. Dans la rue, il y a une curiosité du public et donc du potentiel pour entrer en dialogue. En allant dans l’espace public, Park Poétik a trouvé des solutions pour respecter les mesures Covid : au lieu d’avoir un événement qui rassemble, ils ont fait plusieurs activités, de plus certaines étaient mobiles comme le cuistax pour toucher plus de gens sans qu’ils bougent de chez eux.

Cette approche permet non seulement d’apporter de la culture en ville alors que d’autres lieux culturels restent parfois étriqués à l'intérieur de leurs murs, mais cela permet également aux artistes d’avoir un revenu même si l'événement reste gratuit.

De plus, dans l'équipe, tout le monde est sur un pied d’égalité. Le projet est autant dans les mains de l’équipe que dans celles des bénévoles. Leur approche inclusive a du succès et la ville de Bruxelles réfléchit à développer le concept dans d’autres communes, avec l’objectif de devenir capitale de la culture en 2030.

Dans leur fonctionnement, il y a néanmoins quelques faiblesses, notamment la barrière de la langue ; une fois sur le terrain on se retrouve souvent face à des personnes qui ne parlent ni français, ni néerlandais, ni anglais. Nous nous sommes retrouvés dans cette situation lors de nos expériences sur le terrain. Nous avons également remarqué que beaucoup de personnes reconnaissaient les photos des événements mais pas le nom Park Poétik.


5- Conclusion

Dans le contexte du Covid, les méthodes de médiation culturelles actuelles sont à redéfinir et l’équipe de Park Poétik se lance dans un travail de laboratoire. Iels expérimentent de nouvelles façons de toucher les publics et de mener un projet de médiation culturelle. On peut dire que le cœur de l’action de Park Poétik se situe sur le terrain, à l’opposé du numérique et des écrans.

Park Poétik se place dans une posture très précise par rapport à la médiation culturelle, il est nécessaire de se positionner politiquement dans leur travail avec le festival. Iels ont une bonne connaissance des méthodes dans le domaine culturel et iels tentent à travers Park Poétik de faire évoluer cette vision de la médiation culturelle. Ne plus être dans un rapport marchand avec les activités artistiques et se libérer des pressions logistiques et des programmations toujours trop fixes car faites longtemps à l’avance pour le calendrier d’une institution culturelle par exemple. Un festival doit être viable économiquement mais toutes les activités ne doivent pas forcément être rentables, on peut imaginer des projets libérés de contraintes économiques et voir quelles possibilités cela ouvre. Park Poétik se bat aussi contre une vision consommatrice, où un événement attire un certain public en fonction du style de promotion qui est fait autour (supports numériques, lieux de pose des affiches...). Cette façon de faire de la communication pose la question de l’accessibilité à ces informations ; qui a droit à ces informations? Comment faire en sorte de toucher celleux qui n’ont pas accès à ces canaux? Park Poétik détourne ces questions en refusant de faire de la communication autour de certains de ses spectacles, le concept de surprise : les artistes vont dans la rue, là où sont les gens et expérimentent une façon différente d’entrer en contact avec un public.

Habituellement, on sait à l’avance ce qu’on vient voir, qui est l’artiste et on ne parle à personne pendant le spectacle et après on s’en va. Et comme on a payé sa place, on reste jusqu’au bout même si ça ne plait pas. Ici c’est l’émerveillement qui est mis en avant, les arts sont mis à disposition des gens dans leur quotidien, dans un espace public et cela donne une attention plus honnête. C’est challengeant pour les artistes qui ne jouent plus dans des lieux privilégiés et les passant·e·s arrivent et partent quand iels veulent.

L’idée de Park Poétik est de confronter les gens, des artistes avec des personnes qui n’ont pas forcément de lien avec ces formes d’arts. L’enjeu est aussi de faire confiance à ces interactions et de ne plus se mettre dans une position de juge par rapport à quel spectacle va pouvoir être compris et toucher quel public. Park Poétik prend le public au sérieux et les artistes se donnent à fond même devant un public beaucoup moins important. On en revient aux origines du théâtre de rue, qui se déroule hors des murs institutionnels pour jouer avec la curiosité et l’énergie du vivre-ensemble, des interactions, des contacts dans la réalité parfois brutale de la rue.








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